ARGUMENTAIRE
« POUR NOTRESANTÉ MENTALE, RÉPARONS LELIEN SOCIAL »
Selon l’OMS, « des liens sociaux de qualité sont essentiels à notre santé mentale et physique ainsi qu’à notre bien-être. »(1). En effet, avoir un réseau relationnel satisfaisant « procurerait avant tout un soutien permettant de modérer le stress suscité par certains événements ou situations »(2), et pourrait jouer un rôle de protection contre le risque de dépression(3). Également, les personnes avec une diversité et une densité de contacts sociaux ont une estime de soi plus élevée, une meilleure qualité de sommeil et d’alimentation, et sont plus nombreuses à avoir une pratique sportive régulière(4). Il apparaît donc clair que notre rapport aux autres agit sur notre santé mentale, mais aussi globale. Or, nous n’avons jamais compté autant de personnes se sentant seules dans le monde. Comment comprendre ce phénomène ?
Se lier aux autres : nécessaire et pourtant difficile.
A tous les âges de la vie, les liens que l’on entretient avec les autres nous permettent de nous définir en tant qu’individu, et en tant que groupes. Pour tous les enfants, avoir des liens sociaux de qualité avec leur entourage (parents, proches, professionnel•les) est indispensable à la construction de soi, et est un facteur de protection de leur santé mentale(5).
Échanger avec ses collègues, aller régulièrement au même café le matin, ou encore s’engager dans une activité bénévole alimentent le sentiment d’appartenir à des espaces sociaux, ou à des communautés(6). Ces réseaux de sociabilités remplissent notre besoin de reconnaissance, et facilitent l’accès des ressources (relais de contacts, prêt d’une voiture, aide au déménagement, etc.)(7). Ainsi, nos relations aux autres nous donnent une place dans la société, et nous offrent des
opportunités de vie et des perspectives matérielles qui peuvent être déterminantes dans notre parcours individuel.
La composition et la qualité du réseau social ne sont pas les mêmes pour tout le monde. En fonction de différents facteurs, les liens peuvent être plus ou moins nombreux et satisfaisants. Depuis les années 1970, on observe une hausse du sentiment d’isolement dans la population mondiale(8). Au sein des pays à fort développement économique, cela s’explique en partie par une plus grande mobilité géographique, une augmentation des séparations et des divorces, et plus d’individualité dans la manière de percevoir le monde(9). L’isolement est à différencier de la solitude : le premier est subi, durable, et stressant, le second est un moment choisi pour passer du temps agréable avec soi-même(10). Par ailleurs, le fait de se sentir seul•e n’est pas uniquement lié à l’absence de relations sociales. Ce sentiment peut aussi se loger dans des liens qui font mal, qui ne permettent pas de se sentir exister, ou dans un trop-plein de liens, comme dans les relations d’aide par exemple(9). C’est en ce sens que même au sein de communautés d’apparence soudées, on peut retrouver un sentiment d’isolement. En 2022, dans le monde, 1 personne sur 4 se sentait seule(11). En France, près de 29% déclaraient se sentir seul•e souvent ou presque tous les jours(12). Ces chiffres ont connu une forte hausse durant la pandémie de Covid qui a abîmé de nombreux liens sociaux.
Ce qui entrave nos liens.
Plusieurs causes expliquent ces dernières données élevées, la plus importante étant le fait d’être dans une situation de précarité (revenus modestes, perception d’aides sociales, sentiment de vulnérabilité et faible accès à la consommation)(13). L’augmentation des contacts passant plutôt par les réseaux sociaux contribuent au sentiment d’isolement : il a été démontré qu’ils sont moins satisfaisants et gratifiants que des contacts sociaux en présentiel(14). Aussi, les personnes touchées par la fracture numérique (17% de la population française en 2022) ont une impression plus élevée d’être seules(15). C’est aussi le cas pour lorsque l’on est peu en lien avec son voisinage, que l’on vit avec une addiction ou que l’on est en situation d’aidant•e(8,9).
Aujourd’hui, ce sont les jeunes qui se sentent les plus isolé•es, surpassant même les personnes âgées dont l’isolement a déjà été identifié(16). Cela s’est révélé durant la crise sanitaire, bien que ce phénomène existait déjà auparavant. En 2023, 26% des 15-25 ans se sentaient régulièrement seul(e)s, contre 16% des 70 ans et plus(17). Cet isolement est en partie lié à un affaiblissement des liens familiaux, qui pousse à chercher des relations ailleurs, tout en ayant davantage de difficultés à faire de nouvelles rencontres amicales. L’isolement des jeunes est aujourd’hui tabou, puisqu’il se heurte à une vision idéalisée de la jeunesse comme étant « les plus belles années d’une vie ». Et cela entraîne des difficultés à reconnaître qu’ils et elles se sentent seul•es et à en parler(18).
Un autre enjeu relatif à l’isolement est celui des discriminations. En France, 1 individu sur 5 âgé de 18 à 49 ans estime avoir été discriminé au cours des 5 dernières années(19). Les personnes faisant l’objet de discriminations, que cela soit basé sur leur identité de genre, leur origine ethnique, ou encore leur handicap ou leur trouble psychique, sont amenées à vivre des exclusions sociales. Les préjugés et les stéréotypes créent une barrière d’accès aux opportunités sociales, économiques ou éducatives, et ont pour conséquence un repli sur soi des personnes, et une réticence à établir des liens sociaux par crainte d’être confrontées à davantage de discriminations(20).
Agir pour favoriser les relations qui font du bien
L’isolement est donc un problème de santé publique majeur, qui a un impact direct sur la santé mentale. Au cours de ces dernières années, on a pu voir certains pouvoirs publics s’investir sur cet enjeu. Par exemple, il existe depuis 2018 un secrétariat d’Etat à la solitude au Royaume-Uni, ainsi qu’un ministre de la solitude au Japon depuis 2021. Plus récemment, c’est l’OMS qui a annoncé en novembre 2023 la création d’une commission sur le lien social. Celle-ci a pour mission « d’aborder la question de la solitude en tant que menace urgente pour la santé, de promouvoir en priorité les liens sociaux et d’accélérer la mise à l’échelle des solutions dans les pays, indépendamment de leur niveau de revenu »(21).
Les leviers pour rompre l’isolement ont été identifiés, et des initiatives visant à favoriser le lien social se développent, et sont notamment portées par des associations(22, 23, 24). On peut recréer du lien entre les personnes grâce à des dispositifs qui les réunissent : groupes de parole, habitats intergénérationnels, fêtes des voisin•es, forums de discussion en ligne, soutien par du mentorat, etc. Les actions de santé communautaire sont essentielles à la promotion du lien social, et plus particulièrement celles créées par et pour les personnes concernées qui ont tendance à être plus adaptés(25). C’est également le cas des projets de pair-aidance(26).
Les manières de lutter contre l’isolement peuvent être regroupées en 5 grandes catégories(27) :
- Ecouter : espaces et numéros dédiés (comme Solitud’écoute des Petits frères des pauvre, ou le Fil Santé Jeunes par exemple)
- Rassembler : cafés et restaurants sociaux, tiers-lieux de proximité, jardins communautaires, activités culturelles/artistiques partagées
- Rejoindre : aller-vers, faire du porte à porte, veille de proximité, maraudes
- Soutenir : aide aux démarches administratives, lutte contre l’illectronisme, accompagnements aux services médico-sociaux
- Faire participer : engagement dans du bénévolat, dans des activités centrées sur la communauté
Les politiques publiques ont un grand rôle à jouer dans la lutte contre l’isolement via la promotion de l’inclusion sociale, ou encore la facilitation de l’accès aux services. Mais tout le monde peut agir, à son niveau, pour aider à rompre l’isolement des personnes autour de soi.
Les liens sociaux sont les remparts contre tout ce qui nous divise, et pour notre santé mentale, il est important de les réparer !
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